Mais pourquoi offre-t-on des cadeaux ?
Pourquoi le cousin Gontran et la tante Agathe vous offrent-ils chaque année quelque chose pour votre anniversaire? Pourquoi vous sentez-vous investi d'une fièvre acheteuse tous les ans au moment des fêtes de Noël pour mettre des présents au pied du sapin ? Plus largement, pourquoi offre-t-on et reçoit-on des cadeaux ? Cette question paraît au demeurant simple, voire même un peu naïve. On serait tenté de prime abord de répondre que c'est pour faire plaisir aux autres ou que c'est par coutume ou par habitude. Pourtant cette pratique a une signification plus profonde que l'on peut le croire...
Les cadeaux sont une forme de don et de contre-don :
Il faut rappeler en premier lieu que les échanges de cadeaux rentrent dans les rapports humains et à ce titre, ils entrent dans le champ d'étude de la sociologie. Ils ont été le sujet d'étude de l'un des plus éminents sociologues français : Marcel Mauss (1872-1950). Le fait de se faire des cadeaux s'apparente à une forme de don, pratique qu'il faut bien distinguer de l'échange. A la différence du don, l'échange a une portée économique, avec une perspective de profit et aucun engagement entre les deux parties sur le plan émotionnel. D'autre part, le don se distingue également de la simple offrande, dans la mesure où il entraîne une forme de réciprocité. En effet, le don créé une obligration mutuelle entre la personne qui offre et celle qui reçoit. C'est pourquoi, au don répond ce que Marcel Mauss dénomme le contre-don, qui créé une relation durable entre les individus, désormais reliés par un lien invisible, mais bien réel. C'est donc une forme d'échange, mais sans valeur marchande ! S'offrir des cadeaux fonctionne ainsi selon ce mécanisme du don et du contre-don. Le fait de recevoir un cadeau de la part de quelqu'un d'autre, entraîne ainsi la création un lien, mais aussi l'obligation de rendre, car tout don créé une dette dont il faudra s'acquitter tôt ou tard. La réciprocité des cadeaux provient ainsi d'une sorte de contrat moral. De ce point de vue, accepter un cadeau n'est pas un acte neutre, car c'est accepter une forme de dépendance à l'égard d'autrui, mais c'est aussi une manière d'activer et de réactiver les liens sociaux avec les autres.
La portée sociale des cadeaux :
Marcel Mauss explique dans son Essai sur le don (1923-1924) que la dette du don est une dette positive, fondée sur des valeurs de lien. Ainsi, le don renforce les liens sociaux entre les individus, à la différence des simples échanges marchands. Quand il étudie le mécanisme du don, Marcel Mauss distingue trois phases : l'acte de donner, l'acte de recevoir et enfin l'acte de rendre. La première phase est fondatrice, car faire un don, c'est reconnaître un alter-ego en lui tranférant la propriété d'un objet. En acceptant un cadeau, le receveur reconnaît le don et son "oui" a une portée unificatrice avec le donateur. La dernière étape vient effacer la dette que le don engendre, mais aussi annuler la valeur matérielle de l'échange, au profit d'une valeur sociale. Ainsi, refuser un cadeau ou refuser de rendre, c'est rompre le lien social. De même, ne pas pouvoir rendre à sa juste mesure, c'est demeurer dans une position d'infériorité vis-à-vis du donnateur. Le problème qui se pose dans nos sociétés post-modernes, c'est que le don de cadeau n'a pas la même portée que dans les sociétés polynésiennes bien moins matérialistes que la notre, sur lesquelles Marcel Mauss a fondé son étude. Par exemple, alors que chez les Polynésiens, rien que le fait de donner est un élément de prestige en soi, on imagine très bien les conflits d'intérêts et les soupçons de corruption auxquels pourraient être confrontés nos hommes politiques actuels, s'ils faisaient des cadeaux à n'importe qui et en acceptaient sans distinction. De même, le paradigme de Marcel Mauss est rattrapé par certaines pratiques récentes, qui font que le cadeau se retrouve assimilé à l'échange marchand. En effet, n'est-ce pas ce que l'on fait en offrant un chèque-cadeau ou en revendant des présents sur Internet après les fêtes de fin d'année ?
Conclusion :
La pratique d'offrir des cadeaux est extrêmement ancienne, existant depuis des temps archaïques. Si les occasions auxquelles on offre des cadeaux sont désormais très ritualisées : anniversaires, Noël, rituels de passage, il n'en demeure pas moins qu'au-delà de la notion d'obligation mutuelle à laquelle les présents sont liés, il s'agit d'une façon de réactiver les liens sociaux qui nous unissent, qu'ils soient familiaux, amicaux ou professionnels.
Quelques lectures pour en savoir plus...
Page Wikipédia sur le don et l'offrande : lien direct.
Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.), Le don et le contre-don, Publications de l'Université de Provence, 2010.
Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, Paris, PUF, Rééd. 2007.
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